Emmanuel ALLOY

…se présente

Je m’appelle Emmanuel Alloy. Aujourd’hui on est à Paris pour quelque chose qui est tout nouveau pour moi : c’est la première fois que j’ai l’occasion d’exposer ce que je fais depuis 1 an et demi en sculpture, et depuis 5 mois en peinture. 

On n’en a pas trop parlé mais ma vie ne résumait pas du tout à ça jusqu’à présent. Tout ce dont nous sommes en train de parler depuis tout à l’heure est en fait très neuf pour moi. Cela fait écho à un bruit sourd que je sentais un peu frapper à la porte mais auquel je n’osais pas répondre.

Du vécu ?

Oui. Ma mère est sculpteure. J’ai toujours un peu grandi là-dedans. Son atelier était à la maison. Mon père a fait plein de choses aussi, il a fait du théâtre, de la chanson, il a écrit des livres. Pas en dilettante, car il en avait besoin. J’ai donc grandi avec cette impression que créer était pour moi la chose la plus belle au monde. A postériori, je me dis que c’est l’expression la plus tangible de mon existence. Ce n’est pas un choix. Plus j’avance plus cela devient une grande nécessité.

J’ai besoin de confrontation à l’inconnu pour en savoir davantage sur moi-même. C’était très dur au début, et c’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai pris autant de temps à faire des choses. Je n’osais pas me confronter à moi-même. La confrontation peut être gigantesque. Faire face à une page blanche ou à un bout de terre te renvoie une image de toi-même semblable à : « Je ne fais rien donc je ne suis rien. ». C’est de cette façon que je le vivais. C’est d’ailleurs en partie pour cela que j’ai beaucoup voyagé et suis allé vers différents métiers. J’ai été croupier en Casino, projectionniste, porteur funéraire et tailleur de pierre dans la restauration de bâtiments historiques. 

J’avais besoin d’exister, mais à cela se mêlait une forme d’appréhension : celle de se regarder en face. J’avais besoin de m’échapper.

La confrontation intérieure était très dure au début, surtout en modelage. Aujourd’hui encore, je ne suis toujours pas complètement certain de ce que j’aurai à dire dans un ou deux ans. Pendant les premiers mois c’était tellement dur que lorsqu’il ne se passait rien je continuais quand même, qu’importe l’état dans lequel j’étais. J’avais besoin qu’il se passe quelque chose. En continuant, tout doucement, tu passes des petites étapes.

Un auteur de bande-dessinée américain, Maurice Sendak, dit : « You have to take the dive. » ; il faut continuer à plonger à l’intérieur même s’il ne se passe rien. Il ne faut pas avoir peur. Donc, à ma petite échelle, j’ai continué. Cela devient un automatisme et un exercice de sagesse, d’humilité. 

Avant, je ne jetais pas mon travail, je cherchais le détail susceptible de me faire avancer. Aujourd’hui, je suis capable de passer à autre chose. En modelage c’est facile d’agir comme ça : il suffit d’enlever, d’ajouter, de gérer l’accident. Recréer quelque chose que je trouve génial ne fait pas partie de mon travail : je n’y parviens pas. J’ai très peu de savoir technique mais en avoir davantage n’y changerait pas grand-chose. Le travail ne se fait pas uniquement par le geste. Il faut savoir faire la distinction entre « voir » et « regarder ». 

Ton expérience en tant que tailleur de pierre t’as donc permis d’être en contact très tôt avec la matière… ?

Oui. Énormément. Mais tailler la pierre n’a rien à voir avec le modelage. On effectue des dessins en amont : on sait donc exactement où on va. C’était un prétexte pour commencer à travailler avec ma main, sans se plonger dans l’inconnu. Il n’y a pas d’inconnu ici, tu reproduis ce que tu as sous les yeux. C’est se confronter à la matière sans avoir ce rapport à l’inconnu que je trouvais encore trop gigantesque.

Tu m’as dit que tu n’avais suivi aucune éducation à l’art mais je pense qu’il y en a quand même eu une majeure. Peux-tu nous en dire davantage ?

Oui. Je pense aussi. Elle se fait toujours d’ailleurs, tous les jours. Parfois à mon insu. 

Mon éducation à l’art a principalement été dans le fait que ma mère est sculpteure, elle a toujours fait ça et a toujours fait en sorte de le faire. Avant elle exposait et aujourd’hui elle donne des cours en parallèle. Comme elle travaillait à la maison, je faisais partie de ce monde-là, même si je n’y ai jamais apporté un regarde très attentionné. 

Mon père avait, lui aussi, besoin de s’exprimer. 

Mon frère était très touché par le cinéma, la musique, la littérature, la bande dessinée. Il a une belle culture de tout ça. Étant enfant, je me souviens avoir perçu la création comme incompréhensible : les gens font des choses mais au fond, que se passe-t-il ? C’est alors ça d’être adulte ? Pourquoi ont-ils besoin de faire ça ? Mais, je trouvais qu’il y avait une certaine beauté en tout cela. 

[réflexion sur l’incompréhension d’une œuvre d’art, la recherche d’une réponse, l’écart entre soi et ce qu’on a devant les yeux, le flou]

Les gens demandent des réponses là où, au contraire, parfois ils n’en demandent pas. En musique ils se laissent avoir par leurs sentiments tandis que lorsque quelque chose de factuel se produit devant leurs yeux ils ont besoin d’explication.

Pierre Soulages dit « Je ne représente pas, je présente. ». Plus j’avance, moins la compréhension m’intéresse. Je ne cherche plus le parce que.

Des techniques et des matières que tu aimes travailler ?

J’aime le pastel, les toiles. 

Je n’en ai pas encore trop les moyens. Je vais essayer de m’acheter des châssis pas trop chers et de les toiler moi-même. 

Ce sont les grands formats qui me font envie, en peinture comme en sculpture d’ailleurs. Mais en sculpture cela demande de travailler avec des armatures. De la même façon, travailler avec le bronze me demande de travailler avec des gens et donc énormément de moyens. Faire couler un bronze et faire le moulage d’une sculpture coûte très cher, contrairement à la matière première par exemple. 

Le grand format en sculpture et en peinture ne requiert pas la même technicité. En sculpture, lorsqu’on souhaite réaliser un grand format en terre par exemple, lors du modelage, il faut tout de suite se lancer dans des constructions d’armatures. Donc, techniquement, il faut savoir où on va, penser la chose pour pouvoir ensuite la construire. Cela me fait très envie mais il faut que je me rapproche de gens qui ont la technique.