Sylvian Meschia

Le 26 Mars 2022 à Giméras, dans les hauteurs de Rieux-Volvestre.

Installé dans les hauteurs du Volvestre, Sylvian est un céramiste qui sait rendre à la terre ce qu’elle lui accorde. Celle qui représente sa tranquillité n’est autre que celle qui reçoit son histoire. Il lui attribue la forme d’une grosse boîte, d’une urne, lui conférant souvent des formes symboliques, empruntées à la culture orientale, son enfance, ou aspirant au moulin de ses hauteurs actuelles, sa terre d’accueil et décisivement d’appartenance. 

Aujourd’hui, Sylvian partage son travail en s’essayant à d’autres médiums, une façon aussi de faire présence autrement et autre part. 

 

Comment définiriez-vous votre goût ?

La question me surprend.  J’ai du goût pour la cuisine, pour le jardin, pour la céramique. Il y a plein de choses que j’aime et plein d’autres que je n’aime pas. Il faudrait mettre la vie en un seul mot ici…

Alors, par quoi a été façonné votre goût ?

L’histoire des pieds noirs en Algérie est quand même dramatique… Ça a été une grosse blessure. J’avais 10 ans, mais ça dure toute la vie. Mes parents aussi en ont beaucoup souffert. On entre dans des cases, on est stigmatisés. Un traumatisme. C’est fini. Je ne veux plus en entendre parler. Il fallait que je me reconstruise une autre vie.

Une thérapie : celle de se soigner par l’art, par la création. Remplacer les horreurs que j’ai pu voir par de la beauté.

Un jour on a interrogé Matisse en lui demandant pourquoi il ne parlait jamais des horreurs de la guerre. 

Il a répondu :

– Ça je le garde pour moi. Je préfère parler que de la beauté du monde.

Je suis aussi très actif. J’ai deux côtés : le côté artiste et le côté responsable. Je suis un artiste raisonnable, réfléchi. C’est un côté d’un artiste que les gens ne voient pas, qu’on ne connaît pas. Pour eux, être artiste c’est la bohème. Non, moi les artistes que j’aime sont des artistes qui travaillent avec assiduité. Une phrase me revient d’un coup. Au sujet du goût.

[Sylvian cite le poète Philippe Jaccotté]

Un simple souffle, un nœud léger de l’air, une graine échappée aux herbes folles du temps.

Quand avez-vous su que votre vie allait être dédiée à l’art ?

C’est un long chemin. Mon père et mon grand-père étaient menuisiers. J’ai toujours vu un homme dans un atelier, avec des outils qui fabriquait quelque chose, seul. Au lycée je dessinais de la BD. Il n’y avait personne chez moi pour remarquer ce dans quoi j’étais doué. Au lycée, le père de ma petite amie était verrier, il faisait des vitraux. En allant chez elle, je le voyais travailler dans son atelier. Ça a été une révélation. À la différence de mon père, il faisait quelque chose d’artistique. Il m’a proposé d’aller apprendre la profession pendant un an dans une abbaye pas loin, où il y avait un atelier de vitrail. Le moine qui y travaillait est décédé peu de temps après mon arrivée. Là-bas il y avait aussi un atelier de céramique…Alors, je m’y suis essayé. Je voulais faire un métier manuel mais artistique. J’aimais aussi beaucoup le dessin. Je faisais des choses très surréalistes. Mais bon, à l’époque être potier était quand même beaucoup moins prestigieux que d’être peintre. Je continue toujours d’exercer.

Quels sont les artistes qui vous inspirent ?

L’influence de Rothko. Les peintres abstraits, modernes que j’admire. Il y a aussi Gérard Garouste, un grand peintre français figuratif. 

En Terminale j’avais des cours de philosophie. Nous étions très peu à y aller et c’était un jeune prof brillant, qui était peintre qui nous enseignait la matière. Il nous faisait cours sur l’histoire de l’art. Il venait avec des reproductions de tableaux dont Rothko, Jackson Pollock, Soulages. Des grands peintres abstraits. Ça a été mon premier contact avec la peinture. Un choc. 

Et puis, les poètes comme René-Charles, Philippe Jaccotté… 

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans ce que vous faites ?

Faire à partir de ses mains. Créer en partant d’une simple boule d’argile. Partir de l’argile inerte, la façonner, en faire quelque chose. Un bol. Par exemple. Les gens ne savent pas la magie d’un bol. Et puis, à 50 ans j’ai eu besoin de retrouver mon village en Algérie. Mais, une guerre civile avait éclaté et je n’ai pas pu y retourner… Un jour, ma mère a remis la main sur un carton rempli de vieilles revues d’ado et des cahiers écrits en arabe. J’ai découvert qu’on nous apprenait l’arabe à l’école. C’était comme un retour en enfance. Ça été un électrochoc. 
Le lendemain, et pendant des semaines, j’ai reproduit les lettres arabes. Mais, finalement je les modifiais, je les retravaillais toujours.  C’est la main d’artiste qui a commencé à prendre le pas dessus. Le reste ne m’intéressait plus, seulement ces écritures. J’ai beaucoup travaillé sur papier et suis ensuite passé sur céramique. Là est toute la différence entre l’artisan, l’artisan d’art et l’artiste. Les uns répètent tandis que l’autre s’exprime. C’est ça la bascule.

Où est votre esprit lorsque vous faites de vos mains ?

Nulle part. C’est tellement prenant. On se laisse guider par ses mains.  C’est une démarche très impressionniste. C’est aussi le jeu des couleurs. On reçoit quelque chose et on essaie de le retranscrire. Les heures, les jours passent…Il me tarde tout le temps de reprendre le travail de la veille. Je ne veux pas perdre de temps, m’égarer.

Quelle a été votre éducation à l’art ?

Je suis fasciné par l’Antiquité, la Grèce depuis l’adolescence. Ce sont les origines de la civilisation. 

Quel est votre rapport à la couleur ?

La calligraphie se fait avec de l’encre et cet encre est noir. Je n’ai rien inventé.  Le bleu pour le mouvement, la molécule, la Méditerranée et l’Orient.

Le vert, aussi. Pas de rouge. Je n’aime pas le rouge.

J’aime les tons ocres, les jaunes, les verts les bleus.

J’utilise des terres colorées pour faire mes couleurs. Et, des rouges je n’en ai pas. 

Comment travaillez-vous ?

Quand je faisais de la poterie j’exposais six à sept fois par an. Je travaillais de 8h du matin jusqu’à 8h du soir. C’était mon gagne-pain… Aujourd’hui je réalise des installations, des totems, je créée des lieux. Ce n’est plus du travail d’atelier. Je recherche aussi d’autres médiums.  Mais, les expositions à l’étranger ne m’intéressent plus. Maintenant, c’est ici. Ça n’empêche pas les gens de venir. Ce rythme-là, je l’aime. C’est ma tranquillité. J’ai quand même vécu dans un monastère pendant 1 an, et ça m’a plu. 

Avez-vous déjà travaillé avec d’autres artistes ?

Pas beaucoup. Parfois avec des peintres. Je travaille avec des équipes aussi, j’aime bien. Une fois même avec des décorateurs. 

Où peut-on trouver votre art ?

Les grands Totems sont pour les commandes publiques. Sinon, dans mon atelier/galerie pour acheter les pièces céramiques.