Mehdi Shineshen

Le 12 février 2023, à la résidence le Préavie au Pré-Saint-Gervais

Mehdi nous reçoit dans son atelier, à la lisière de l’expérimentation corporelle – une approche qui fait dialoguer les sens et aborde la peinture comme une appropriation de soi. Son travail est en partie rythmé par le rock psychédélique des années 1970 et tend à fuir une démarche trop figurative. En témoigne notamment sa palette de couleurs, qu’il considère comme un travail émergent à la conversation de fausses symétries. 

La suite de son travail c’est un écho aux coulures, une vaste superposition d’archives colorées, peuplées des palettes de couleurs utilisées. 

 

Quelle a été ton éducation à l’art ?

J’ai un parcours assez atypique. Je ne me suis pas intéressé à l’art avant mes 21 ans. J’ai commencé avec des études de droit à Aix en Provence, pendant 3 ans. Le soir, dans le bus, en rentrant chez moi à Marseille je côtoyais des étudiants de la fac de lettres. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à m’y intéresser. C’était aussi un moment où j’avais envie de découvertes et de sortir de mon cercle habituel. L’art et la lecture m’ont permis de lever les yeux et de m’intéresser à autre chose, contrairement au droit où je n’avais pas de liberté. J’ai donc intégré la fac de lettres en cursus arts plastiques en 1ère année l’année qui a suivi. Je me suis d’abord initié au dessin, que j’ai très rapidement délaissé, pour la peinture . En 3ème année je suis allé à la Sorbonne pour poursuivre le même cursus mais dans un environnement différent. Ça fait 4 ans que je suis à Paris. Aujourd’hui je suis diplômé d’un Master en Création Contemporaine et poursuis un doctorat d’Arts plastiques et Sciences de l’Art. J’écris une thèse sur le rapport au corps dans l’art. « Le corps à l’ouvrage : spectateur, oeuvre et artiste » Je me demande comment ces 3 corps vont oeuvrer dans l’espace et le temps d’exposition.

Nous sommes ici dans ton atelier de la résidence Le Préavie au Pré Saint Gervais. Cela fait-il longtemps que tu y es?

Depuis 1 mois. J’avais besoin de franchir cette étape, de voir un ailleurs. Je sentais que j’atteignais mes limites dans une certaine étape de mes créations. L’atelier, contrairement à mon appartement, me permet d’appréhender de plus grands formats et de penser à des projets de plus grande ampleur. 

D’où vient ce goût pour cette pratique ?

Je dirais que ça été une attraction avec cette matière picturale qui m’évoque la chair. Elle m’invite à y avoir un rapport physique, comme un corps à corps. Puis en lisant beaucoup d’essais littéraires ou philosophiques, ou même en lisant des témoignages d’artistes, je me suis aperçu que beaucoup d’auteurs parlaient du rapport au corps avec l’oeuvre. Ça me fascinait. Dans la peinture il y a ce rapport corporel, presque charnel. Les mots de Merleau-Ponty m’ont beaucoup marqué et inspiré. Après plusieurs années à travailler cette matière, j’ai cherché à la fuir en pratiquant d’autres médiums mais toujours en la retrouvant dans mon processus de création. C’est comme si elle me suivait. 

D’ailleurs, je ne fais pas uniquement de la peinture, je fais aussi de la sculpture et du son. Je peins ma toile et après je viens la sculpter. Ces différentes pratiques viennent se compléter et s’apportent mutuellement. Pour moi, elles sont complémentaires. La sculpture met en relation la matière et la forme. C’est la mise en forme d’une matière informe pour obtenir une figure. La représentation d’une forme extérieure d’un corps, une forme sensible. Sculpter c’est travailler la matière dans sa forme tandis que peintre c’est représenter la forme sur un support en 2 dimensions. Mais finalement, est-ce qu’un peintre n’est pas sculpteur quand il prépare sa toile ? Il y a un rapport sculptural à la peinture.

Comment définirais-tu tes créations ?

Je les vois comme des présences. Plus je les regarde et plus elles changent d’apparence, je vois des choses que je ne voyais pas auparavant, elles évoluent comme des présences qui me rappellent des corps. Paradoxalement, quand je peins je m’oublis. J’oublis le corps que je suis pour le projette et faire corps avec l’oeuvre. C’est ce rapprochement là que j’essaie de transmettre au spectateur, et pas le reflet de mes pensées. C’est une volonté réelle d’intégrer un rapprochement physique avec le spectateur quand j’expose mes pièces. Par exemple, le côté musical de mon art est ce qui me définit le plus. La peinture c’est une pulsion que je vais immédiatement ressentir, mais la musique n’est pas instantanée, elle est comme un ressenti qui va se faire en décalé – comme une définition qui évolue.

Les mets-tu en scène ?  

Je les mets dans leur réalité. Je laisse la matière de la toile et de la peinture s’exprimer par leur poids.  Elles s’adaptent à l’espace et prennent une forme malgré moi. C’est un hasard manipulé. Le poids de la toile va m’imposer un mouvement pour pouvoir travailler son corps.

Y a-t-il des thématiques récurrentes dans ton travail ? 

Le corps, l’espace et le temps sont omniprésents dans mon travail. 

La thématique du son est de plus en plus présente. J’étais musicien avant, je jouais de la guitare électrique. C’est une manière pour moi de prolonger cette pratique. Quand je touche mes instruments pendant mes performances, j’ai de nouveau envie de jouer. Mais, allier la musique à ma peinture est plus intéressant. Jouer pour un public, sans expérimentation et spontanéité ne m’intéresse pas.

Quelles-sont tes inspirations ?

Tous ces artistes qui vont changer notre rapport à l’espace et au temps. Je pense à Bruce Nauman, Anne Imhof, Ulla Von Brandenburg… Mais aussi la musique, l’architecture, les corps, la nature… 

Le mouvement Fluxus me plaît beaucoup. La performance, aussi, elle me permet de mêler les médiums et l’improvisation est maîtresse. Des interactions se créent et le spectateur est à égalité avec l’oeuvre et l’artiste. J’aime remettre en question cette séparabilité entre l’œuvre et son créateur, mais aussi avec le spectateur. Réduire l’écart entre l’art et la vie. 

Quelle place tient l’expérimentation dans ton travail ?

Elle est omniprésente. Mon travail n’est ni figuratif ni abstrait. J’aime le côté improvisé : se confronter à ses actes. Je m’inspire des végétaux, des corps, de l’architecture. Je n’aime pas les dessins préparatoires, je n’y arrive pas, trop réfléchir me bloque. Je préfère embrasser la catastrophe.

Pourquoi retournes-tu tes toiles ?

Quand j’ai commencé la peinture et que j’expérimentais, je ne faisais que des bandes latérales, horizontales, j’allais de gauche à droite et j’aimais les retourner pour découvrir une nouvelle peinture. Les coulures montent vers le haut pour créer de la légèreté et laisser la peinture peindre la toile. Ça change aussi le sens de lecture du tableau. La force de l’apesanteur est très présente dans mes travaux. C’est le flottement de la peinture dans l’espace.  Ça fait aussi écho à mon travail avec la toile : une fois que j’ai fini de peindre, je la renverse et la plie. Une toile représente une journée pour moi. Je ne quitte pas l’atelier sans l’avoir finie sinon, je perds le fil, comme René Passeron qui perd la communication avec son travail en répondant à un coup de téléphone.

T’arrive-t-il d’écrire ?

Oui, la pratique nourrit la théorie, et inversement. J’aime faire, mais en parler aussi Sinon, ça perd tout son sens je pense. J’aime écrire ce que je vois devant une peinture, quand je suis en observation, faire des références et des recherches.

Quelle relation entretiens-tu avec les couleurs ?

Elles n’ont pas de signification. C’est un moyen et pas une fin. Je les laisse parler ente elles, je vais créer un dialogue non contrôlé entre elles, par les coulures par exemple. Je donne corps à ma peinture. Je lui donne les moyens de travailler par elle-même. C’est une coopération en fait. Puis, elle apporte une richesse dans la composition, elle donne un rythme et dirige le regard.  Je joue beaucoup sur la complémentarité des couleurs, elles communiquent ensemble et sont un moyen de créer une rythmique sur l’espace de la toile. L’agencement des couleurs entre elles donne une personnalité différente à mes toiles, parfois j’ai même envie de leur donner un nom, un caractère, une identité.

Quelles-sont les matières et les techniques que tu utilises ?

Une toile et de l’acrylique. L’eau va s’accommoder à la couleur, translucide et liquide. Maintenant j’enduis mes toiles de gesso pour me permettre de jouer davantage avec le contraste des couleurs et le poids de la toile. Avant je ne neutralisais pas le fond et les couleurs faisaient perturbation. Ce sont deux rendus différents qui ont leurs caractéristiques propres.

Où peut-on te trouver dans les semaines à venir ?

A l’exposition Prix Paris 1 de l’Art Contemporain du 16 au 18 février organisée par la Sorbonne, ou dans mon atelier.