Lou CHENIVESSE, photographe et scénographe

…se présente

Je m’appelle Lou. Je vais avoir 27 ans, ça fait 2 ans que je suis diplômée de l’école des Beaux-Arts de Nantes. J’exerce une pratique plastique en parallèle d’une pratique de la scénographie pour les arts vivants.

Quelle a été ton éducation à l’art ?

Ma mère a toujours eu un lien assez fort avec l’art : elle a d’abord été professeure d’histoire-géographie puis a ensuite fait une thèse en histoire de l’art, ce qui l’a poussé à devenir commissaire et critique d’art. 

Quant à la mère de ma mère, ma grand-mère, elle a peint toute sa vie et a rencontré un homme qui lui a fait connaître l’art, c’est d’ailleurs lui aussi qui a transmis l’art à ma mère et qui, très jeune, m’a montré beaucoup de films de Kearney et m’emmenait voir des expositions.

Du côté de mon père, ses parents étaient des artistes peintres qui avaient fait les Beaux-Arts de Versailles mais qui n’en ont pas fait leur vie. C’est par le biais de mon père que j’ai découvert le théâtre, le festival d’Avignon, les arts vivants en fait.

C’était donc quelque chose de vraiment présent dans ma famille et dans lequel je suis bercée depuis très jeune.

Quel regard ta maman porte-t-elle sur ton travail ?

Même si elle est critique d’art, c’est assez compliqué pour elle je pense. D’autant plus qu’elle joue dans le film sur lequel je travaille et dont le sujet principal est sa famille. Elle joue le rôle de sa grand-mère… Le masque qu’elle porte est la parfaite réplique de son visage puisqu’il a été monté d’après lui, et la perruque est similaire à la coupe qu’elle a toujours eue. Je pense donc qu’en ce sens ça complique déjà les choses. Mais, de manière générale, le simple fait de savoir que sa fille puisse être à l’origine de ces créations-là ne l’aide pas à y poser un regard critique.

Quelles-sont les techniques ou les matières que tu aimes travailler ?

La vidéo. La photo est moins amusante.

As-tu des inspirations ?

Mes inspirations viennent du cinéma, du théâtre et des arts vivants en général. Elles viennent peu des arts plastiques ou des artistes contemporains. Par contre, les vieux artistes plastiques comme de La Tour, Vélasquez, Caravage, eux, m’inspirent.

Je suis moins transportée par les arts plastiques que par les arts vivants. J’aime beaucoup la danse, c’est ce que je préfère.

Quels sont les artistes dont tu apprécies l’œuvre ?

Parmi les contemporains, Carsten Höller et Pierre Huyghe.

Dans le cinéma, David Lynch, Peter Greenaway et Lars Von Trier m’influencent beaucoup. Ça fait un an que je découvre Tarkovski, qui devient une grande référence pour moi. Béla Tarr, héritier de Tarkovski, fait aussi des choses magnifiques. Le cinéma expérimental de Guy Maddin m’anime également. 

Quelle importance accordes-tu au souvenir ?

Le souvenir est mon sujet de travail. La caméra, par exemple, me permet de me souvenir. Mais son usage peut être assez frustrant. Quand je prenais en photo la maison de famille, cette envie d’attraper dans la caméra était présente, mais sa sélection limite l’attrape du réel, malgré le pouvoir de sélection que tu as à travers elle. Dans le souvenir aussi il y a une dimension d’axe et de sélection et donc par conséquent de transformation : c’est le souvenir altéré. Il donne une représentation distordue de la réalité.

Les personnes âgées reviennent fréquemment dans ton travail…

Oui, je vais te lire un passage que j’ai écrit pour accompagner la série de photos « Le silence des passeurs ». 

« Dans un âge très avancé, nous perdons nos facultés de parole, de mouvement. Notre corps se transforme, il est de plus en plus léger, comme si nous perdions notre consistance matérielle. Sa présence se réduit à celle d’une ombre, d’un corps inanimé pour être bientôt celle d’un fantôme. Alors, nous sommes des pré-fantômes. Notre comportement et notre être, comme s’ils faisaient une boucle, rejoignent ce que étions enfants. Nous parlons alors de régression, de sénilité, de dégénérescence mentale. Pourtant, peu de psy ou de neurologues se sont intéressés à ce qui se passe dans le cerveau à ce moment de nos vies. Cet état n’est-il pas plus une transformation qu’une régression ? Où sommes-nous quand notre esprit semble absent ? Peut-être sommes nous en contact avec autre chose, un ailleurs, une autre réalité et ceci grâce à une perception du monde qui se transforme. Quand mon grand-oncle sénile m’annonce s’être entretenu la semaine dernière avec mon grand-père mort il y a cinq ans, comment lui retirer toute véracité à ses propos si, pour lui ils se sont vraiment parlés ? La personne âgée c’est aussi celle qui fait un lien entre un temps passé et un temps présent, celle qui a connu un monde que nous ne connaîtrons jamais et qui en devenant muette, renferme et emporte pour toujours un secret avec elle, celui de nos origines. »

Voilà. C’est un peu la question que je me pose.

Si tu devais être un objet, lequel serais-tu ?

J’ai envie de dire une caméra mais c’est un peu facile. Je ne sais pas.

[hésitation]

Non mais je vais dire une caméra, elle apporte un regard orienté sur le monde. Elle permet le choix et de l’hors champ.

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