Juliette MARNE

…nous parle de son rapport à la littérature et à l’art

 J’ai choisi la voie des sciences parce-que j’y réussissait bien. Mais j’ai eu une maman qui adorait lire, qui m’a donné beaucoup de livres. Je suis rapidement devenue une grande lectrice par curiosité naturelle. Par contre, j’ai eu une éducation musicale ; très présente dans ma famille maternelle. D’où mon intérêt pour la poésie, où le côté musical et oral de la langue me parle beaucoup. Être initié à un art nous donne beaucoup d’ouvertures pour les autres.

[réflexion sur l’enseignement en art plastique et la littérature internationale en France]

À 25 ans je rencontre Gérard, qui me donne les clefs pour comprendre l’art, éduquer mon regard.

Avez-vous toujours mêlé vos passions à votre activité professionnelle ?

Non, pas du tout. J’ai tatonné et suis arrivée dans l’édition à 30 ans.

[réflexion sur « vivre en tant qu’artiste »]

Aujourd’hui seulement j’arrive à écrire comme je le veux. Devenir un artiste peut prendre de nombreuses années. Tout cela vient d’une conjonction de choses : la société ne facilite pas ce chemin et la maturité pour exprimer son art ainsi que la maturité d’esprit s’acquiert avec l’âge. Le lien avec la création est davantage évident. J’ai donc fait face à de nombreux obstacles étant plus jeune pour mêler mes passions, mon art, à ma vie professionnelle. Mais, plus le temps avance, plus je peux sereinement les mêler à ma vie.

Êtes-vous en librairie en ce moment ?

Une maison d’édition associative à Toulouse, les éditions Auzas, a publié mon premier recueil de nouvelles il y a 7 ans : La tâche Bleue. Il est distribué dans quelques librairies. 

Quelles sont vos inspirations ?

C’est à la fois le vécu et les choses qui se passent dans la société. Le lien corps-esprit et les rêves. Les rêves sont ma grande source d’inspirations. Pour moi, le rêve permet de faire le lien entre la vie concrète et l’autre dimension de cette réalité. Ces deux réalités m’intéressent. 

Comment parvenez-vous à mettre des mots sur des pensées ?

Il ne faut pas être trop rationnel lorsqu’on écrit. La raison ne doit pas prendre le dessus sur nos émotions. La poésie m’aide beaucoup. Elle sait faire disjoncter le lien au rationnel. Écrire en poésie est instinctif, les mots qui arrivent ont plusieurs sens. Des ouvertures et des associations se forment. Elle a su me libérer du côté rigide de l’écriture. Il faut laisser aller ce lien pour qu’une sorte de vérité s’exprime toute seule, tout en ayant le côté rationnel qui structure le tout. Quand on écrit lorsqu’on est fatigué le domaine irrationnel prend le dessus. On parvient à se détacher de la rationalité, ça devient plus spontané. Par exemple, le rêve éveillé : beaucoup de symboles sortent. C’est une source d’inspiration. Mais on ne peut pas parler de littérature ici…c’est bon pour de l’expérimentation symbolique. Sauf si on fait de la poésie, auquel cas on peut en prendre quelques fragments. 

[réflexion sur le corps et l’âme – « la sculpture c’est mettre de l’esprit dans la matière » me dit Juliette]

Si vous deviez être un objet, lequel seriez-vous ?

[rires, puis hésitations]

Je peux choisir un animal ? 

Si je devais être un animal je serais un renard pour son côté malin, il se faufile partout. Et puis il y a Le Roman de Renart, le récit du Moyen-Âge. Il sait tout mais il est caché : on voit un éclair roux qui passe et pourtant il peut aller un peu n’importe où.  Il a ce côté invisible. J’imagine que ça me correspond bien aussi parce que je préfère voir plutôt qu’être vue. Il apparaît dans de brefs instants. 

[réflexion sur la nature humaine, le caractère humain et la sensibilité artistique – « pour vivre heureux, vivons cachés » en concluons-nous]

Quels sont les artistes dont vous appréciez l’œuvre ?

Je vais parler des écrivains. J’aime beaucoup l’écrivain hongrois Imre Kertész qui a obtenu le Prix Nobel de littérature. Il était juif et a été déporté en camp de concentration à 14 ou 15 ans pendant un peu plus d’un an : ça a complètement bouleversé sa vie. Du coup, il est devenu écrivain. Il a mis 30 ans à écrire son premier livre, pendant l’ère soviétique et communiste. Son premier roman s’appelle « Être sans destin ». Il est paru en 1975 et passé complètement inaperçu. Il a reçu le Prix Nobel 30 ans après. C’est quelqu’un qui a réussi à faire cette « vie de moine » et à concentrer dans un ouvrage une expérience à la fois concentrationnaire et de la dictature communiste, avec une analyse profonde. C’était un admirateur de Nietzsche. Il mène toute une réflexion sur « être maître ou victime de son destin ». Aujourd’hui, beaucoup de personnes se sentent victimes de quelque chose, et revendiquent ce statut. Lui, justement, réfléchit à ce sujet et ne souhaite pas être mis dans cette case-là. Toute sa réflexion tourne autour de ce qu’est un « être humain ».

J’aime aussi beaucoup d’autres auteurs comme Joyce Carol Oates, une auteure extrêmement prolifique de 82 ans qui a écrit 40 recueils de nouvelles. Entre sa tête et le papier il y a le bon filtre et un super caractère.