Elisa Rigoulet et Antoine Donzeaud

Le 12 avril 2023 dans les locaux d’Exo Exo, à Belleville

Elisa et Antoine ont su déployer leur volonté de pas enfermer l’art dans l’inéluctabilité qu’on a tendance à lui conférer. Au contraire, cette émancipation est guidée par une variation de structures temporaires où le commun imaginaire accueille les oeuvres de travaux autobiographiques. Pourtant, toujours irrigué d’un vocabulaire singulier et un langage pictural aux formes simples. Langage qu’ils n’ont de cesse de pratiquer au tournant de chaque exposition, devenu leur signature – ou récit pour ainsi dire. Ces imbrications, aussi banales que perturbantes se risquent à l’inconnu sans pour autant s’affranchir de toute référence. Chaque variation suggère ainsi l’évolution d’un travail, conjointement ou indépendamment d’un autre.

Quelle a été votre éducation à l’art ?

Elisa :

Je n’ai absolument pas de connexion à l’art dans ma famille, ni dans mon enfance ou ma jeunesse. C’est venu très tardivement. J’ai toujours été intéressé par la culture, j’ai commencé par étudier la littérature puis de l’Histoire de l’Art à l’Université de Bordeaux. Je trouvais ça cool les formes, les tableaux et les sculptures dans les musées. Je suis arrivée à Paris en 2006. À ce moment-là je n’avais que 22 ans et n’y connaissais rien. Je suis entrée à l’Ecole du Louvre. J’ai tout appris dans les musées, dans les livres et en faisant beaucoup de stages en galerie. À 24 ans j’étais embauchée à la Galerie Valentin. Ce sont ces expériences qui m’ont tout appris.

Antoine :

Moi non plus je n’ai pas été initié à l’art en grandissant. J’ai grandi en région parisienne et ma sensibilité artistique est venue plus tard. J’ai d’abord fait des études scientifiques : mathématiques, architecture…c’est à cet instant que je me suis rendu compte que j’avais envie de créer des choses. En fait, au début j’ai eu un désir un peu naïf de créer des espaces, donc je me suis tourné vers l’architecture, c’était un bon compromis entre le tangible et l’artistique. Mais en architecture j’ai été confronté à trop de contraintes, je n’étais pas assez libre. Du coup j’ai préparé le concours pour entrer aux Beaux-Arts. Comme Elisa, ce sont aussi les expositions qui m’ont transporté. D’abord, Matthew Barney au Musée d’Art Moderne avec la vidéo, et Otto Dix à Beaubourg. Le triptyque La Guerre. J’ai rencontré le marché de l’art à Paris, après avoir passé 5 ans aux Beaux-Arts de la Villa Arson.

 

Nous sommes dans vos locaux. Pouvez-vous nous parler de ce lieu ?

Elisa :

On s’est rencontrés via un ami commun des Beaux-Arts. Antoine louait ce lieu en tant qu’atelier. On a d’abord eu l’idée de le partager avec d’autres artistes puis ensuite l’envie de le faire vivre autrement, d’accueillir un public et faire des expositions.

Antoine :

C’était l’impulsion des UV aux Beaux-Arts : au sein des ateliers, arrivait un moment où on rangeait tout et on faisait des accrochages où les profs et d’autres étudiants venaient. Ça permettait les échanges et les critiques. C’est un principe que j’ai beaucoup aimé et que j’avais envie de faire perdurer. Au même moment Elisa quittait son job en galerie et cherchait à développer une activité de commissaire.

Comment Exo Exo a-t-il évolué depuis sa création en 2013 ?

Antoine :

La première impulsion on peut la rapprocher d’un artist-run space. On faisait des expos dans tout l’espace qui duraient une semaine tous les 2 mois environ. Elles étaient très courtes avec, toujours, le temps fort du vernissage, puis des rendez-vous et après ça devenait de nouveau un atelier. Intense mais une bonne énergie dynamique. À ce moment-là on bossait avec des artistes de Paris, étrangers, en résidence, c’était au gré de nos envies et sans suivi. Ce modèle a duré 5 ans environ puis petit à petit on a évolué, on a noué des liens plus étroits avec certains artistes qu’on a commencé à suivre de plus près. On était présents sur des foires et on a développé un modèle plus commercial.

Elisa :

Au début on est partis d’une idée d’énergie qui était un peu folle, il n’y avait quasiment aucun Project Space à Paris. Ce type de programmation alternative était très nouveau. En plus, on était totalement libres, il n’y avait pas d’enjeux puisque pendant longtemps j’ai travaillé à côté. La question de l’économie de notre système ne se posait donc pas. Mais, cela représentait un temps de production que l’on ne mettait pas ailleurs…et on s’est rendus compte qu’on nourrissait le travail de prospection des autres galeries.

Comment les travaux des artistes que vous représentez parviennent-ils jusqu’à vous ?

Antoine :

Par différents biais, c’est assez organique. Internet, les blogs, les proches… On voyageait beaucoup, donc le réseau a aussi grandi comme ça.

Comment parvenez-vous à accompagner le regard du spectateur face à un travail qui n’est pas le votre ?

Antoine :

Par notre complémentarité, car nous partageons les mêmes sensibilités avec Elisa. On n’aborde pas les choses de manière purement intellectuelle, en défendant seulement un concept ou une idée : on pense une exposition de façon sensible et organique. Être attiré par une pratique c’est aussi adhérer à un discours. Mais, ce rapprochement des oeuvres qui parviennent à dialoguer ensemble n’est pas initié par un concept pensé en amont.

Quel regard portez-vous sur les expositions auxquelles vous vous rendez ?

Elisa :

On ne le dissocie pas vraiment de notre travail car ça apporte un regard critique d’aller voir des group shows dans des galeries par exemple. Ça reste quelque chose dont tu ne peux pas faire abstraction lorsque tu fais une exposition. C’est vrai que par déformation professionnelle on regarde aussi les choix faits pour l’accrochage, la sélection des oeuvres, etc… Ton acuité est permanente.

Antoine :

Peut-être que finalement les meilleurs expositions sont celles qui te font oublier tout ça, celles où tu n’es que spectateur.

Vous présentez très peu de photographie. Comment l’expliquez-vous ?

Elisa :

On nous en parlé récemment ! Ce n’est pas un choix délibéré. On montre beaucoup de vidéo. Le médium de la photographie questionne en tant que tel, comme le cinéma. Pour moi la photographie est un médium en soi. Beaucoup de galeries se spécialisent dans cette pratique artistique. En revanche, on montre beauoucoup d’artistes qui ont un rapport très clair à la photographie et à l’image. Je pense à Yves Scherer par exemple. Son travail est complètement lié à la photographie, et Gaspar Willmann, un autre de nos artistes, utilise la photographie comme travail préliminaire à sa pratique. La photographie en tant qu’image pure, statique, encadrée, c’est vrai, nous n’en montrons pas beaucoup.

Antoine :

Ce n’est pas un positionnement de notre part.

Pouvez-vous nous en dire davantage quant à votre engagement féministe ?

Antoine :

C’est une question de sensibilité au contexte social actuel.

Elisa :

Il y a des formes très diverses d’engagement aujourd’hui mais celle-là me paraît évidente, et c’est celle sur laquelle j’ai l’impression d’avoir le plus d’action. J’ai écrit des livres sur le sujet. C’est une question qui m’intéresse profondément, et à tous les égards, dans la vie, intime, comme celle de mère, ou encore la manière dont on porte la question du genre. Même si cela n’a rien à voir avec l’art ça m’intéresse pour les artistes qu’on fréquente. Eviter cette question serait absurde. Il est vrai qu’au début on ne se la posait pas. La génération d’artistes avec laquelle on travaille aujourd’hui est très emprunte de ça. Cecilia Granara par exemple en est imprégnée même si son travail ne porte pas de symboles ultra féministes en tant que tels.

Votre activité a-t-elle affecté votre rapport à l’art ?

Antoine :

On a su changer de modèle et évoluer.

C’est un parcours, un chemin, tu mûris, avec le temps tu n’as pas la même vision, la même énergie, les mêmes envies…Mais le fond, la vision, l’intérêt, le goût est toujours là. Me concernant c’est un peu différent car ma position n’est pas toujours évidente de par cette double casquette (artiste / galeriste) qui entre parfois en conflit. Ça représente une charge mentale à intégrer et à organiser, c’est aussi une question de tempérament.

Elisa :

Quand tu génères de l’argent ton rapport à l’art bouge malgré toi même si tu restes dans ton engagement initial : le regard, le goût, des autres t’interrogent. Ceux qui gagnent sont ceux qui arrivent à s’en départir.

Exo Exo fête ses 10 ans en septembre. Comment les envisagez-vous ?

[Elisa, avec humour]

Peut-être qu’on pourrait faire une expo photo !

Vous êtes en plein accrochage. Pouvez-vous nous en dire davantage sur l’exposition à venir ?

Elisa :

Cinq artistes présentent leurs travaux comme une histoire qui s’est construite malgré elle. C’est un bon exemple de la façon dont on monte nos expositions. Tout est parti de plusieurs artistes qu’on avait déjà en tête, et parmi eux Alison Flora, qu’on a rencontré à Montrouge lors de notre participation au jury du Salon de Montrouge. C’est une artiste qui prélève son sang de manière très contrôlée pour ensuite peindre avec : une sorte d’obsession très ritualisée. Nous nous sommes alors questionnés sur les pratiques obsessionnelles artistiques, la répétition dans les pratiques, le rite et les dimensions parfois sacrificielles. D’autres artistes que nous connaissions des Beaux-Arts avaient aussi ce genre de pratique, je pense notamment à Nicole et ses fontaines de jouvence qu’elle fabrique à partir de ses eaux usées. Après, Francisco a un rapport obsessionnel aux figures pop star. Ce sont les oeuvres d’Alison qui l’ont amené à imaginer une oeuvre de Chris Burden. Tous partagent ce rapport à l’obsession, au rite, et au sacrifice quelque part aussi.

D’où le nom Exo Exo est-il venu ?

Elisa :

Au départ c’était en référence au préfixe grec « en dehors de » puis les gens l’ont doublé en l’assimilant avec l’expression « XOXO ». On l’a gardé – comme une sorte de récit communautaire.

 

– Elisa RIGOULET et Antoine DONZEAUD, fondateurs d’ Exo Exo