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Le 4 mars 2022 à la Pépinière, résidence d’artistes à St Simon, près de Toulouse.

 

Même s’il fige les images qu’il crée, Pierre aime le mouvement, la découverte. Les couleurs apposées, quoique figées, ne s’arrêtent, elles continuent à séduire nos yeux, sans les épuiser. L’esthétique de ses toiles il la doit en partie à son expérience dans le graffiti. Une expérience guidée par sa fascination pour l’aventure et les supports roulants. Son travail était exposé pour la première fois le 10 décembre 2021 à la Pépinière.

 

Comment définirais-tu ton goût ?

J’aime beaucoup la couleur. La touche de couleur, comme un détail à la sobriété. J’aime les détails, la précision. Sans doute par rapport à mon métier d’avant : j’étais sérigraphe, imprimeur. Dans la sérigraphie on procède couleur par couleur, tout est classé. Les dégradés sont des à-plats qu’on vient s’assembler et des formes qui s’emboîtent. Je pense que tout ce que je peins maintenant sur toile vient de tout ce que j’ai pu faire dans mon travail ou mes loisirs…Comme le graffiti par exemple. J’ai eu une marque de vêtements aussi. J’ai toujours essayé de m’exprimer.

Comment ton œil s’est-il développé ?

Je l’avais déjà un peu étant petit mais il s’est développé et affiné avec le travail que je faisais en imprimerie. J’ai fait un bac imprimeur. J’avais des cours consacrés uniquement à la couleur, la colorimétrie, et même des cours sur les calculs de densité. Des cours mathématiques que je ne mets pas forcément en application mais on nous apprenait à associer les couleurs. Je travaille aussi beaucoup les plans, la perspective. J’aime la sensation de profondeur. Ce n’est pas tout le temps évident. Il faut jouer sur les dégradés, que ce soit satisfaisant pour les yeux. Je ne veux pas me lasser de regarder ces toiles. Au-delà même de ça, je veux qu’elles soient positives. On le voit avec le côté ensoleillé ou la flamme et son côté graphique que j’aime travailler. Mais, j’essaie de rester dans le réel en dessinant des immeubles. Le monde n’est pas tout beau tout rose, rempli de couchers de soleil et de palmiers.

 

T’inspires-tu de l’actualité lorsque tu penses une toile ?

Pas franchement, non. J’essaie de ne pas y penser. Ce qui m’inspire ce sont les voyages. Les levers et couchers de soleil me marquent beaucoup, où que ce soit, et surtout les reliefs qu’ils suggèrent. Je pense que ça se ressent dans mon travail. Les autres, les rencontres, la découverte m’inspirent énormément.

 

Il y a beaucoup de Méditerranée dans tes toiles…

Oui, et inconsciemment je la peins. Par exemple, ce dessin (en me montrant le dessin de l’affiche de son exposition de décembre), je l’ai fait en rentrant de Marrakech. C’est un ami qui me l’a fait remarquer. C’est pour ça que voyager c’est important pour moi, j’y puise des idées, sans y penser en plus.

 

Tu aimes voir tes toiles partir ?

Oui, ça me motive. Je me dis que je ne produis pas pour rien.

 

Tu les produis à la demande ?

Non. Je veux que chacune d’elles soit authentique. Reproduire à l’identique ça ne m’intéresse pas. Je veux moduler la toile comme j’en ai envie. Chaque toile est unique dans sa couleur, sa composition. En revanche, un même univers peut m’inspirer plusieurs toiles.

 

Il t’arrive pourtant de produire des travaux en série…

C’était des prints. Des impressions en 20 exemplaires. C’était un travail sur logiciel que j’ai fait imprimer. J’avais même modulé les couleurs différemment.

 

Quelle a été ton éducation à l’art ?

Mon père sculptait la pierre le week-end. Je le voyais faire, j’étais fasciné, je voulais faire comme lui. À l’école j’adorais les cours d’art, j’aimais m’exprimer, être dans ma bulle. Je faisais des projets artistiques en lien avec le graff dans ma ville. C’est à l’adolescence que j’ai découvert le graffiti. Je taguais dans mon lotissement, sur des poubelles, où je pouvais en fait. J’aimais cette adrénaline, ce défi, ce côté interdit. Je préfère quand même graffer une chose dans l’année mais sur un support particulier comme le métro, plutôt que de faire plein de murs. Une préférence pour la qualité. Le métro ça a été une obsession pendant des années : j’ai fait le tour de l’Europe pour ça. Ça faisait partie de moi. Je partais tous les mois voire toutes semaines…

 

Pourquoi ça te fascinait tant ?

C’est comme une mission en fait. D’abord, il faut arriver à pénétrer dans le lieu, ensuite réussir à le peindre et puis sortir. Sortir avec une photo, car il ne suffit pas de peindre, il faut quand même qu’il y ait une démarche artistique. Tout ça pour un plaisir essentiellement personnel en plus car les photos je n’ai jamais pu les montrer. Je ne peux toujours pas d’ailleurs. C’est très éphémère aussi. Aussitôt peint, c’est effacé. Au mieux, tu te dis qu’il fera deux stations et que quelques personnes le verront. Ce plaisir va aussi avec l’âge. J’étais plus insouciant, je ne pensais pas trop aux conséquences, et puis j’étais entouré de gens qui faisaient comme moi alors c’était des challenges entre nous aussi. On se crée une bulle finalement.

 

Depuis quand peins-tu sur toile ?

1 an. C’est tout récent. Mais j’ai toujours eu ce désir-là.

 

Elles avaient-elles déjà cette allure ?

Oui, il y avait un petit air. Je faisais déjà des villes, des bâtiments, des métros. Une ambiance un peu similaire. Je me souviens même que j’achetais des magazines qui mêlaient graffitis et art : les gens qui arrivaient à en vivre me fascinaient. Surtout que c’était tout juste émergeant à l’époque et puis c’était aussi considéré comme illégal, sans démarche artistique. Mais moi j’aimais cette gratuité de la rue. Par contre, je reste dans le respect. Je n’irai pas peindre des maisons, des lieux historiques. Dégrader ne m’intéresse pas. J’aimais vraiment les supports roulants, jusqu’à l’odeur qui s’en dégageait…

 

Comment t’organises-tu pour repérer les lieux ?

En général avant de partir j’essaie de regarder comment ça se passe…mais bon… on n’est jamais à l’abri de surprises une fois sur place. Parfois en parlant avec des locaux tu t’aperçois de la chance que tu as eue d’aller à un lieu et d’avoir pu en sortir. Il ne faut pas de laisser influencer par les expériences des uns et des autres. Tout est tellement aléatoire…Il y a des choses que je ne ferai pas à Toulouse mais que d’autres ont pourtant fait sans difficulté. Et puis, en discutant avec les autres tu réfléchis et tu te questionnes. Ça m’est déjà arrivé, à Barcelone, de tomber nez à nez avec un gars qui venait de Dublin et qui venait lui aussi pour peindre. Tout de suite, des liens se créent. J’ai un pote qui vit au Maroc, on s’est rencontrés comme ça, et aujourd’hui il est comme mon frère. Par ce milieu-là on a vécu des choses fortes, des moments de galère intense. C’est au pied du mur que tu vois vraiment comment les gens réagissent. La sincérité de la personne elle ne ment pas à ce moment-là… La panique ou de stress sont révélateurs.

 

Qu’est-ce que tu appelles « galère intense » ?

Se retrouver dans un lieu où je ne peux sortir que par la gauche : si cette issue est bloquée, alors moi aussi. Il m’est déjà arrivé que dans la panique mes jambes se coupent. Tu as tellement peur, tu es tellement surpris que les muscles s’atrophient. L’assurance vient avec le temps. C’est pour ça que dans le monde du graffiti le support roulant, et en particulier le métro, est considéré comme étant le graal. C’est le plus dur à atteindre et à peindre. Ton temps est extrêmement limité. Peu s’y tentent. Mais c’est pourtant l’origine même des graffitis. Ça a commencé comme ça à New-York…

 

Pourquoi n’es-tu pas passé à la peinture sur toile plus tôt ?

Je dissocie beaucoup ce que je fais dans la rue de ce que je fais aujourd’hui. Ce n’est pas la même chose, ça n’a rien à voir. Les lignes ne sont pas les mêmes. Reproduire sur toile ce que je peignais dans la rue ne m’intéresse pas.

 

Avant de graffer, sais-tu toujours ce que tu vas apposer sur ton support ?

Principalement du lettrage. Carré. Rien à voir avec mes toiles. Mais, en général, l’adrénaline te guide beaucoup. Elle te fait te lâcher, tu ne réfléchis pas, tu agis. Pour moi, se poser trop questions tue ma peinture. C’est d’ailleurs pour ça que j’avais du mal à aller sur des terrains vagues par exemple. Je préfère l’instinct. Je suis plus à l’aise.

 

Comment travailles-tu depuis que tu peins sur toile ?

Beaucoup de réflexion. Je réfléchis pas mal avant de me lancer. La nuit, le jour, tout le temps. Dès que j’ai une idée je la note. Puis, ça me travaille, je la fais évoluer et quand je suis satisfait, alors je la pose.

 

D’où te vient cette minutie ?

Je ne sais pas. J’ai pourtant tendance à être bordélique. Disons que je prête attention au rendu. J’aime le rendu net et efficace

 

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ce que tu fais ?

Le regard des autres sur mon travail. Devoir s’y confronter. C’est bénéfique et ça m’aide énormément. Ça fait qu’un an que je fais ça et avant même mon exposition de décembre je ne savais pas quel accueil on allait faire à mon travail et quel allait être le retour des gens. Je doutais.

 

Quels-sont les artistes qui t’inspirent ?

Principalement ceux qui m’entourent à la résidence. Cette stimulation entre nous m’inspire beaucoup…On a créé des liens forts. C’est en partie grâce à eux que j’ai cru en ce que je faisais.

 

Comment es-tu arrivé à la Pépinière ?

Je connaissais bien Julien. On peignait déjà ensemble et faisait des collaborations pour ma marque de vêtements. Ici, j’ai commencé à travailler sur ordinateur. Et puis, j’ai été fasciné par les lieux. Je m’y sentais bien. Fouad, qui travaillait aussi ici, m’a proposé de faire un cadre pour une exposition qui allait avoir lieu, j’ai accepté. En parallèle, un contrat de travail prenait fin : j’avais besoin de faire quelque chose. Fouad m’a proposé une table. J’ai commencé à produire et en juillet, c’est en voyant une de mes toiles qu’il m’a mis au défi de présenter mon travail pour décembre. J’ai eu 3 mois. J’avais besoin de ce coup de boost. Il faut toujours aller plus loin, repousser ses limites. Je me contente rarement de ce que je j’ai.

 

Où peut-on trouver ton art ?

Bientôt à Marrakech, à la BCK Art Gallery.

À Toulouse, chez Flatdesign et sinon, dès le 8 avril un événement à prévoir avec Collection Immobilière, une agence immobilière toulousaine.

 

Où dois-je aller pour acheter ton art ?

Tu viens à La Pépinière ou tu me contactes sur Instagram.